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Pour
revenir à cette première rencontre, Eddy représentait déjà les prémisses d'un tel
changement renonçant à une discrimination sociale s'appuyant sur des thèses racistes.
Eddy étudiait l'histoire. Le système d'apartheid ne permettait pas aux étudiants
"noirs" d'accéder à un niveau d'étude supérieur. Il existait bien quelques
universités qui leurs étaient réservées, dans certains "bantoustans", ou
encore à Soweto; mais d'une façon générale, les diplômes obtenus restaient
discriminés socialement.
Eddy était brillant. Et la reconnaissance de son mérite lui a valu d'être parmi ces
premiers étudiants à côtoyer une université du Cap, jusqu'alors exclusivement
accessible aux "blancs".
Depuis, Eddy profitait d'une bourse d'étude internationale, ce qui lui a permis de
réaliser quelques voyages à l'étranger. Et c'est à Cuba que le hasard nous a fait nous
rencontrer. A la suite de quoi, je l'ai inviter un Noël à Paris, profitant de son
passage en Europe.
La force de cet échange m'a fait comprendre qu'en Afrique du Sud, plusieurs routes
seraient restées parallèles, si l'impact de l'histoire, à travers ceux qui la font,
n'avait pas ouvert des chemins transversaux, inaugurant la rencontre et l'échange,
plutôt que de continuer à vivre dans une réalité clivée.
Me voici donc en Afrique du Sud. De fil en aiguille, j'en suis venue à séjourner dans le
ghetto, brûlant les tabous racistes hérités de l'apartheid. Au gré des rencontres sur
place, je fus ainsi hébergée chez différentes familles résidant à Diepkloof, un parmi
les 42 townships de Soweto.
Déambuler seule dans la "ville noire", quadrillée en zones numérotées, n'est
pas encore un fait banal, au regard de ses habitants.
Ce type d'organisation urbaine, qui c'est développé depuis la période
d'industrialisation dans cette région (le Gaunteng), reste marqué par les préceptes
raciaux qui en ont organisés sa construction. Ainsi, chacun de ses quartiers représente
des communautés culturelles distinctes, catégorisées dans les termes
"d'éthnies" selon les théories éthnocentristes mises en oeuvre par le
système de l'apartheid.
De l'africain d'origine sotho, venda ou zoulou, la diversité culturelle c'est rejoint en
un point, la lutte contre la discrimination raciale; sachant qu'au delà du dualisme
"noir / blanc", s'opérait une hiérarchie socioculturelle au sein même de la
catégorie des "noirs".
Dans chacun de
ces quartiers marqués par les inégalités sociales, l'accueil fut historique. Les danses
et les chants n'eurent de cesse qu'avec le temps, celui d'un avenir réunifié dont la
réalité s'avérait de plus en plus lointaine.
L'Afrique du Sud a bien gagné sur un plan symbolique et universel l'abolition du concept
de race au niveau de sa constitution. Pour autant, la réalité de la vie quotidienne
montre au voyageur à quel point l'héritage de l'apartheid est difficile à transformer.
Le premier prénom que les enfants m'ont prêté fut "Machudu". En langue venda,
il signifie "chance". Chance d'être là, parmi eux, sans à priori ou presque,
un pied dans ce que pourrait être l'avenir au pays de l'arc en ciel.
Et je reconnais que c'est bien la chance qui m'a permise d'être acceptée par ces gens au
regard si différents; et dont, pour certains, je suis aussi devenus une amie. Pénétrer
leur quotidien a su ébranler mes certitudes culturelles pour réduire à néant certaines
de mes croyances. Aucune révolution ne pourrait faire "table rase" de son
passé. L'histoire s'inscrit au plus profond de nos habitudes, au creux même des plus
insignifiantes.
La folie de l'homme, à travers ses différentes expressions historiques telles que le
nazisme, l'apartheid et toute les sortes de totalitarisme, ne sont pas seulement que des
mauvais souvenirs, prêtant au refoulement les vertus de l'oubli. "Celui qui meurt
oubli!" disait le poète. Mais le pardon n'essuie pas la culpabilité. Celle là bien
d'avoir cru en une supériorité de l'homme sur l'homme, au gré des convenances d'une
blancheur supposée divine..
Mais si la chance
m'a effectivement séduite, à force de vivre sur le terrain, c'est bien du coté de
l'amour que j'ai pu y retourner. Je fus alors "baptisée" par le prénom de
"Lerato", signifiant de l'amour en zoulou; sachant que cette langue a imprégné
presque toutes les autres, retraçant une partie plus ancienne de l'histoire d'Afrique du
Sud, celle la même d'avant l'arrivée des colons.
Lerato, love, amor. J'habite désormais dans une "zozo" à moi, "my zozo in
zone four". C'est à dire une cabane d'environ dix mètres carrés, parmi des
milliers d'autres, fabriquées de bric et de broc; des taules et du bois, du plastique,
des cartons ou de la brique. Une zozo donc, accrochée à cette autre maison dite
"boite d'allumette", où survit ma nouvelle famille, entendue dans son sens le
plus large.
Mais la réalité habillée de ces illusions, s'est révélée plus chaotique que nous
l'avions imaginé. Je dis "nous", car j'étais bien prise par le temps qui,
depuis Machudu, s'était écoulé. Même si je suis revenue plusieurs fois chez moi, en
France, je suis retournée régulièrement vivre à Soweto.
Cette expérience de vie m'a orienté vers le tourisme, et je suis devenus pour quelque
temps correspondante avec un organisme associatif de voyage. L'aventure était si forte,
qu'au sein de cette association, nous avons pu développer une formule de voyage atypique,
incluant un séjour chez l'habitant vivant dans les townships. A la suite de quoi, le
travail sur place fut propice à des actions associatives plus engagées.[Suite...] |
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