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- Le sida en Afrique Australe va t-il entraîner un recul de la
population de l’Afrique au Sud du Sahara ?
Avec
près d’un adulte sur dix infecté par le VIH, contre un sur cent
dans l’ensemble du monde, l’Afrique au Sud du Sahara est de loin
la région la plus touchée par le Sida.
Les
conséquences démographiques vont irrémédiablement être modifiées
et si l’épidémie varie beaucoup d’un pays à un autre au sein du
continent noir, l’Afrique australe est la plus touchée.
Sait-on seulement pourquoi ?
Les
Nations Unies, qui révisent leurs estimations de population tous les
deux ans, ont pris pour la première fois en compte les conséquences
démographiques de l’épidémie de Sida en 1992. On commençait
alors à mieux connaître l’épidémie et ses caractéristiques.
Le
surcroît de décès occasionné par le Sida ne pouvant être mesuré
que dans des pays disposant de statistiques fiables, ce qui n’est
pas le cas de la plupart de ceux affectés par le Sida, il a fallu
recourir a d’autres outils pour faire face à cette gageure. Le seul
moyen d’y parvenir a été d’effectuer des estimations indirectes,
qui consistent à élaborer des modèles épidémiologiques fondés
sur les caractéristiques de la maladie et la part de population déjà
infectée par le virus.
En 1992, les
Nations Unies ont estimé l’évolution à venir de la proportion de
personnes infectées en faisant des hypothèses sur les progrès dans
la lutte contre la maladie. Le temps d’incubation étant long, il
faut attendre dix ans pour que la moitié d’un groupe de personnes
nouvellement infectées soit malade et l’épidémie ne cessant de
progresser dans de nombreux pays, ses conséquences démographiques
restaient largement à venir.
Cette
prise en compte du sida a conduit à réviser à la baisse les
pronostics d’évolution de l’espérance de vie à la
naissance.
Espérance de vie à la naissance en 1980/85 et ses
projections en 2000/2005
Pays
|
1980/1985
|
Projections
en l’an 2000
|
Révisions
de 1992
|
Sénégal
|
45
ans
|
53
ans
|
54
ans
|
Ouganda
|
49
ans
|
57
ans
|
46
ans
|
Zaïre
|
50
ans
|
58
ans
|
52
ans
|
Cote d’Ivoire
|
50
ans
|
58
ans
|
48
ans
|
Zambie
|
51
ans
|
60
ans
|
42
ans
|
Zimbabwe
|
56
ans
|
66
ans
|
43
ans
|
Kenya
|
56
ans
|
66
ans
|
49
ans
|
Afrique du Sud
|
58
ans
|
67
ans
|
47
ans
|
Des
le début des années 90, on estimait que 10% à 15 % des adultes de
ces deux pays étaient infectés par le VIH, un record mondial à l’époque.
Pour la plupart des autres pays d’Afrique, même ceux touchés tôt
par l’épidémie, comme le Zaïre, le Kenya ou le Zimbabwe,
l’ajustement des projections a été moindre, l’espérance de vie
à la naissance étant censée retrouver en 2000/2005 son niveau de
1980/85, voire le dépasser, après une baisse temporaire. Pour
l’ensemble de l’Afrique, le nouveau scénario des Nations Unies
conduisait à diminuer de deux ans la prévision d’espérance de
vie.
On pouvait encore
imaginer en 1992 que l’épidémie avait atteint un plateau ou était
en passe de l’atteindre. La lutte contre la maladie progressant, on
gardait l’espoir que la tendance s’inverse au cours des décennies
suivantes et que l’espérance de vie reparte à la hausse. Les
scientifiques ne se cachaient pas l’importance des drames humains
causés par l’épidémie mais, à ceux qui redoutaient une réduction,
ils répondaient que la population de l’Afrique continueraient
d’augmenter malgré tout et qu’il en serait de même pour chaque
pays. La natalité demeurant encore élevée, même une mortalité en
forte hausse ne viendrait pas inverser la rapport des décès sur les
naissances.
Réajustées à nouveau quelques années
plus tard…:
En 1994 et 1996,
les Nations Unies ont reconduit sans grand changement le scénario de
1992 quant aux effets du Sida. Cependant, dans la seconde moitié des
années 90 on s’est aperçu que l’épidémie avait progressé
nettement plus qu’on aurait pu l’imaginer, notamment en Afrique
Australe…
Les projections sont réajustées, pour l’ensemble du Continent Africain
en l’an 2000, les chiffres sont les suivants:
Espérance de vie
à la naissance en 1990: 58 ans
Espérance de vie à la naissance en 1992: 56 ans
Espérance de vie à la naissance aujourd'hui (2000): 51 ans
D’une projection
à l’autre, le recul est particulièrement sensible au Kenya, en
Cote d’Ivoire, mais c’est dans les pays d’Afrique Australe que
la révision à la baisse a été la plus marquée.
Cette
baisse record est due à la hausse de la mortalité liée a un taux
d’infection record : 21%
des adultes de 15-49 ans vivant en Afrique Australe étaient infectés
à la fin des années 2001.
En février 2004 le Swaziland a décréter l'état d'urgence, tant
les ravages provoqués par l'épidémie du sida confinent au désastre.
Le pays a franchi la barre des 40% de la population adulte contaminée.
«La combinaison mortelle du VIH/sida et de la pauvreté a produit une
situation inédite, a expliqué Themba Dlamini, premier ministre du
Swaziland, évoquant un «scénario du désespoir».
Un accroissement rapide sous estimé:
Pourquoi n’a-t on
pas anticipé le développement de l’épidémie dans cette région
d’Afrique au cours des années 90? Qu’est-ce qui faisait penser,
il y a dix ans, que les taux d’infection records observés en
Ouganda et en Zambie étaient indépassables.
On supposait un
taux de transmission de l’infection uniforme, alors qu’il s’est
avéré plus élevé en Afrique en raison de la forte fréquence
des maladies sexuellement transmissibles autre que le Sida.
On
ignorait alors, que, lorsqu’un des partenaires a une infection
sexuellement transmissible occasionnant des ulcères génitaux,
notamment la syphilis ou l’herpès génital (HSV-2), le taux de
transmission du VIH peut être multiplié par 10 à 100 et qu’on a
une chance sur 5 ou 10 d’être infecté par un rapport sexuel
unique. Dans ce contexte de rapports sexuels à risque relativement fréquents,
ces maladies ont boosté la progression de l’épidémie.
Plusieurs
facteurs sociaux ont aussi joué un rôle important, comme l’existence
de fortes communautés de travailleurs migrants célibataires.
Souvent empêchés de s‘installer durablement en ville (Ce fut le
cas sous l’apartheid en Afrique Du Sud), ces hommes semi-citadins
ont conservé des liens avec le monde rural. Engagés souvent dans des
relations avec plusieurs partenaires et ayant recours aux prostituées,
ils ont contribué dans leur migration journalière, hebdomadaire ou
mensuelle, villes/campagne à accélérer la diffusion de l’épidémie
dans les campagnes.
Enfin,
une autre caractéristique fréquente des sociétés africaines, le
grand écart d’âges entre les conjoints ou partenaires, a joué
dans le même sens, en permettant au virus de se transmettre plus
rapidement d’une génération à l’autre.
Le Sénégal et l’Ouganda en
exemple :
Un
Africain sur 15 est infecté par le VIH dans toute l’Afrique… Au
sud du continent, (Zambie, Zimbabwe, Afrique du Sud, Lesotho, Namibie,
Swaziland) la proportion d’adultes touchés est supérieure à 20 %
par rapport au reste du continent. Au
Nord, par contre, les pays sont peu infectés. Dans la bande Sahélienne
(Sénégal, Gambie, Mali, Niger, Tchad et Soudan), les taux restent
modérés (entre 0.5% et 3.6%).
Au sein de la progression générale de la maladie, deux pays font
exceptions. Le Sénégal avec un des taux les plus bas au sud du
Sahara soit 0.5% (même taux qu’en Ile de France). Et pourtant les
comportements sexuels ne sont pas différents du reste de l’Afrique,
si ce n’est une sexualité moins précoce chez les jeunes femmes.
Par contre, le pays n’abrite pas de fortes communautés de
travailleurs migrants célibataires et la fréquence des maladies
sexuellement transmissible autre que le Sida reste à un niveau modéré.
Ces facteurs pris isolement n’auraient sans doute pas empêchés
l’épidémie de progresser mais leur réunion a permis jusqu’ici
de la contenir.
L’Ouganda fait
aussi exception car si le taux d’infection y est dix fois plus élevé
(5%) qu’au Sénégal, il a été divisé par 2, voire 3 depuis 10
ans. Ce succès tient à la lutte contre les infections sexuellement
transmissibles et aux changements de comportements induits à la fois
par l’ampleur de la crise et les efforts colossaux d’éducation et
de prévention faits depuis une dizaine d’années, notamment auprès
des jeunes. Cela fait de ce pays un modèle de réussite dans la lutte
contre l’épidémie.
[Suite...]
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